Les enfants de Moissac

Décembre 2020

Exposition „Les enfants de Moissac“

 Fiche technique de l’expostion

Pendant la 2ième guerre mondiale, à Moissac, en Tarn-et-Garonne, près de 500 enfants juifs, bébés comme adolescents ont été abrités dans la Maison des enfants de Moissac et ainsi sauvés de la déportation grâce à la complicité active de toute la population de Moissac

Moissac est une commune française ( 12500 habitants en 2018) située dans le département de Tarn-et-Garonne, à quelques 30km de Montauban et 70km de Toulouse.

Un moment douloureux dans l’histoire de la petite ville fut en mars 1930 un sinistre sans pareil du fait du débordement très violent du Tarn. Sur 7 400 habitants, il y eut 120 morts, 6 000 personnes sans abri et 1 400 maisons à reconstruire. Il y eut à ce moment un élan de solidarité nationale et les Moissagais ont reçu des sommes substantielles pour pallier aux besoins et permettre la reconstruction.

A peine une dizaine d’années plus tard, quand il y eut les premiers réfugiés fuyant les poursuites des nazis, les prises de position de certains édiles et religieux locaux ont rappelé la catastrophe de 1930. Dès 1939, le sénateur-maire, Roger Delthil, disait compter sur la générosité de la population moissagaise envers les réfugiés, quels qu’ils soient, « parce que, en 1930 [année de la catastrophique crue du Tarn], le malheur ayant fondu sur notre ville, la France entière, dans un admirable mouvement de solidarité, lui a envoyé des millions et des millions. Nous avons une dette à payer ; nous la paierons. […] La ville doit faire son devoir, elle le fera », a-t-il écrit dans une missive envoyée à tous les habitants.

Le rôle des Eclaireurs Israélites de France (eif)

Dans les années 1920 Robert Gamzon a fondé ce mouvement qui met l’accent sur la responsabilisation des enfants, instaure dès 1929, la mixité et veut réhabiliter les travaux manuels et agricoles. Des ateliers sont installés au siège des eif, à Paris ; une ferme-école, près de Saumur, abrite en 1939 une première collectivité rurale formée d’éclaireurs français et de jeunes réfugiés de Pologne et d’Allemagne. Ces premières réalisations peuvent être vues comme une sorte de modèle réduit de ce que les eif bâtiront pendant la guerre. R. Gamzon, homme d’action, est un organisateur ; mais d’abord un visionnaire. Dans les années 1930, au vu de ce qui se passe sur la scène européenne, il est l’un de ceux qui comprennent les dangers qui se profilent pour les Juifs dans les temps à venir. Il convient donc de prévoir des positions de repli et surtout de préparer enfants et adolescents (avec des adultes), physiquement, intellectuellement, culturellement, moralement, spirituellement, à affronter et non à subir les situations les plus dures.

Dès 1938, lors de l’alerte de Munich, R. Gamzon conçoit un plan d’évacuation vers le Sud-Ouest et les eif implantent dès septembre 1939, un réseau de six maisons d’enfants : à Beaulieu-sur-Dordogne, La Ruffie et Saint-Céré (Lot), Saint-Affrique et Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), Moissac (Tarn-et-Garonne).

La Maison du 18, quai du Port à Moissac –  Shatta et Bouli Simon

Moissac, Tarn-et-Garonne ; au 18 du quai du Port, face au pont Napoléon, s’élève une grande bâtisse aux épais volets de bois. Réquisitionnée par le préfet dans le cadre de l’accueil des réfugiés, elle ouvre ses portes le 5 décembre 1939 pour donner suite au choix des responsables des eif, Shatta Simon et son mari Edouard qui allaient en devenir les gérants.

Ce couple hors du commun va gérer ce refuge jusqu’à sa dissolution.

Sarlota – dite « Shatta » – Simon ; jeune femme arrivée quelques années plus tôt de Transylvanie ,cheveux bruns et ondulés ramenés en arrière, Shatta est tout en pommettes. On la décrit combattante, autoritaire, charismatique, habitée. Son mari, Edouard, dit « Bouli » – « Rhinocéros mal léché » est son totem scout, mais tout le monde l’appelle « Bouli » -, est issu, lui, d’une famille aisée de Français israélites. Avec ses bonnes manières, son look de bourgeois dégingandé aux lunettes cerclées en écaille, il a les codes pour négocier avec l’administration, et l’énergie de mettre en musique tout ce qui jaillit en roulements de „r“ transylvaniens du cerveau têtu et inventif de Shatta. A eux deux, ils forment un couple en fusion. Une force que rien ne soumet.

Accueil pour réfugiés et Maison des enfants.

Centre d’évacuation au départ, la Maison devient vite « maisons d’enfants ». Pendant la « drôle de guerre » et jusqu’à l’Exode de mai-juin 1940, la maison de Moissac reçoit de jeunes réfugiés, éclaireurs ou pas, de la région parisienne et d’Alsace-Lorraine, des réfugiés étrangers ; puis des enfants sortis des camps d’internement du sud de la France. Au fil du temps Moissac allait devenir un refuge pour enfants juifs venus de l’Europe entière dont une partie étaient déjà orphelins et beaucoup d’autres allaient le devenir. Les Moyshe, Henri, Sarah et les autres avaient deux, dix ou dix-huit ans, ils étaient français, polonais, allemands… Certains venaient d’être arrachés à des camps d’internement du sud de la France, d’autres avaient été envoyés là par leur famille en détresse. Beaucoup ne parlaient pas le français. Ils avaient tout perdu, ou presque.

Mais des enfants de Moissac aucun ne sera déporté et aucun n’aura vécu l’enfer de la déportation. Un seul enfant, repris de Moissac par ses parents, est mort dans les camps avec eux.

Organisation et concept

Pendant quatre ans, alors que l’antisémitisme devient politique d’État, alors que la terreur nazie étend son empire, un mot d’ordre soude cette communauté : vivre ! Pour les enfants brisés qui arrivent là, cela veut dire étudier, jouer, chanter, danser, célébrer les fêtes juives et le Shabbat… Vivre et rester juif, coûte que coûte. Shatta et Bouli Simon avaient fait le pari du rite comme amarre face aux abysses du chagrin. En plein régime de Vichy, ils ont entrepris de conjurer l’Histoire, d’exorciser la tragédie par le culte, et l’angoisse par la tradition. 

„Parler français „ Quand ils arrivent, les enfants – environ un tiers de Français, deux tiers d’étrangers, dont beaucoup de réfugiés allemands – sont accueillis par Shatta: « Ici, on parle français » explique-t-elle aux nouveaux venus, qui ravalent parfois un sanglot devant cette inflexibilité lexicale. A la maison des enfants, l’ambiance joyeuse et chaleureuse se déploie dans un cadre discipliné, empreint de scoutisme et de judaïsme. Parmi les impératifs édictés figure, donc, la pratique immédiate et exclusive du français. C’est à la fois un principe, une perspective et un nouvel ancrage. Mais aussi une précaution face à la certitude que le pire peut arriver : les rafles, les contrôles, la nécessité vitale d’avoir un jour à se fondre et à se cacher.

„Encadrement“ : Au début, les enfants sont encadrés par de jeunes responsables scouts, bénévoles, faisant fonction de moniteurs. Puis les eif sont amenés à recruter du personnel éducatif parmi des étudiants, stoppés dans leurs études par le numerus clausus instauré par Vichy, mais aussi chez des enseignants, ingénieurs, magistrats, officiers et autres exclus de leurs professions en vertu de la « loi portant statut des Juifs » du 3 octobre 1940. D’où la rencontre, à Moissac, de personnes fortement motivées pour participer à l’entreprise collective. Une formation « sur le tas », assurée par les responsables nationaux du mouvement, aborde différents domaines : scoutisme, animation, pédagogie, psychologie, judaïsme.  Mais la Maison compte aussi son lot de Moissagais, comme Mme Deschamps, surnommée « la mère Desche », l’économe de la maisonnée. « Elle ponctuait chaque fin d’office du shabbat par un tonitruant « Les nouilles ! », car c’était le moment où elle devait mettre ses pâtes à cuire, s’amuse encore avec tendresse Jean-Claude Simon, fils des gérants et alors âgé de 5 ans. Pour tous les anciens, aucun shabbat digne de ce nom ne peut se conclure sans « les nouilles ! » en guise d’amen. »

„La loi scoute“, c’est la « loi de la Maison, qui est structurée selon les âges : louveteaux (6-12 ans), éclaireurs (12-16 ans), routiers ou éclaireuses aînées (16-18 ans). Selon le système des patrouilles, chaque « branche » est divisée en groupes restreints placés, chacun, sous la responsabilité directe de l’un des enfants. Outre la vie de tous les jours, jeux et techniques, épreuves et cérémonies, sorties et camps, chants et fêtes, rituels et offices religieux rythment l’existence de la collectivité. Une mise en œuvre aussi « totale » de ce modèle éducatif n’a pas été sans poser quelques difficultés pour des enfants, souvent les plus âgés, qui n’avaient jamais été scouts.

„Le travail manuel“; Robert Gamzon, était très sensible à la philosophie du moment, qui préconise que les juifs doivent cesser de se vouer aux métiers intellectuels pour apprendre aussi le travail manuel. C’est ainsi que beaucoup d’adolescents sont envoyés en apprentissage chez les artisans de la ville. D’autres fondent des fermes écoles, comme celle de Charry, sur les hauts coteaux de Moissac, où une quinzaine de jeunes, filles et garçons, consacrent leur vie à l’agriculture sous la conduite d’un juif russe réfugié et et sa femme. La ferme de Charry : une dizaine d’hectares jusque-là en friche, travaillés avec cœur par un groupe rural qui a pour but de créer un nouveau type de paysan juif régénéré par le travail de la terre. (Préfiguration de kibboutz.)

La vie au quotidien

Mais l’essentiel est de l’ordre du quotidien : tous les jours, après le repas, pendant la pause-café, a lieu le « Conseil des chefs » où tous les responsables des enfants se retrouvent pour parler de leur travail éducatif et du fonctionnement de la Maison. Chaque matin, les enfants d’âge scolaire partent en rang pour se rendre à l’école primaire de Moissac. Parmi les plus grands, certains poursuivent leurs études au collège de la ville ; les autres rejoignent les ateliers. Puisque la Maison, à compter de mars 1941, est habilitée comme « centre de formation professionnelle ». Quelques-uns sont envoyés en apprentissage chez des artisans. Tous les ateliers créés produisent essentiellement pour les centres et le mouvement des eif : reliure, ajustage, mécanique, menuiserie, coupe, couture, électricité, photographie, prothèse dentaire. D’autre part, un chantier de maraîchage, près de la Maison, participe au ravitaillement de la collectivité. Des liens étroits avec le proche chantier rural de Charry ont aussi contribué à pallier en partie le « rationnement » en ces temps de sévères « restrictions » alimentaires.

Il faut imaginer des rues pavées de carte postale en noir et blanc. Les petites maisons de Moissac, les allées bordées de platanes centenaires, le pont Napoléon sous lequel coule le Tarn. Il faut imaginer une poignée d’enfants en culotte de laine, chaussettes remontées jusqu’au genou, souliers lacés à la cheville, qui cheminent en chantant Lève la tête, peuple d’Israël. Et, autour, les passants qui vaquent ; le facteur qui distribue ; la boulangère qui fait sa vitrine. C’est un vendredi après-midi comme les autres, les bambins se rendent aux bains-douches se faire beaux pour shabbat. « Lève la tête, peuple d’Israël / Et que ton chant de fête / Monte jusqu’au ciel… » Ces enfants, ces petits juifs, marchent et chantent à gorge déployée dans ces rues pavées de carte postale en noir et blanc.

Ecoliers, apprentis, aspirants paysans, tous se retrouvent le vendredi soir pour shabbat. Sur la façade du 18, Shatta fait plisser des draps blancs aux fins liserés brodés. Quand le temps est clément, on dresse la table dans la petite cour devant la maison, sous les trois arbres feuillus. « Les badauds passaient sans s’émouvoir : le spectacle leur était familier, évoque Jean-Claude Simon. Ils nous regardaient avec sympathie, et même pour certains avec envie : il y avait beaucoup d’orphelins à l’époque. Tous n’avaient pas notre chance d’avoir la gaieté malgré tout. » La gaieté, malgré tout. Les chants, malgré tout. Les rites, malgré le danger. La vie, malgré la mort. « La force intérieure que l’on met dans un enfant pour vaincre, c’est la force la plus importante », a dit Shatta Simon à Catherine Lewertowski, auteur du livre référence sur la maison des enfants.

 « Parmi les anciens, peu sont devenus vraiment religieux, nous a confié, pour sa part, Jean-Claude Simon. Mais je peux vous assurer que tous dressent une belle nappe blanche le vendredi soir. »

Il faut imaginer qu’on est en 1942. Et alors, seulement, on peut commencer d’entrevoir ce qu’a été le miracle de Moissac.

La complicité de l’administration et de la population.

L’histoire reste toujours peu connue portant elle dépasse la fiction : entre 1939 et 1943, environ 500 jeunes juifs sont passés par la maison des enfants, à Moissac. Non seulement ils y furent nourris, instruits et aimés mais, le plus incroyable peut-être est qu’ils trouvèrent en Moissac un asile où ils n’eurent même pas à taire leur identité, qu’ils purent vivre leur judaïsme au grand jour, sous la protection de la population. Oh, il y avait bien les faux papiers, pour donner le change face aux autorités. Mais, dans la ville, leur judaïsme n’était pas caché. Shabbat, bar-mitsva, fêtes juives…, tout y était célébré au grand jour.

 De 1939 à 1943, la vie des enfants s’entremêle avec celles des habitants de Moissac. Les plus jeunes vont à la communale, les plus âgés sont apprentis chez M. Chauderon, le serrurier, M. Dreuil, l’ébéniste, M. Roger, marchand de légumes, ou encore suivent des cours de dactylo à l’école Genyer – une institution tenue par des religieuses de la congrégation des sœurs de la Miséricorde. Les deux maires qui se succèdent à l’époque, Roger Delthil et Louis Moles, en plus d’être des protecteurs administratifs précieux, officient tour à tour comme médecins attitrés de la maison. Avec l’aide de son assistante, Alice Pelous, le secrétaire de mairie, Manuel Darrac, s’occupe, lui, de fournir les tampons officiels pour les faux papiers.

En lisant ce qui précède et surtout cette description de la vie au quotidien on donne raison à Jean-Claude Simon quand il insiste : „Rien de cela n’eût été possible, bien sûr, sans la complicité taiseuse, bienveillante – et, à la fin, très active – d’une ville tout entière : Moissac. « Je crois qu’on a du mal à imaginer : c’était quelque chose, oui, de miraculeux, ces chants, ces fêtes célébrées au vu et au su des habitants qui ne trouvaient rien à y redire“.

A mentionner aussi dans ce contexte l’appel de Mgr. Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, dans sa lettre paroissiale du 26 août 1942, dans laquelle il fait « entendre la protestation indignée de la conscience chrétienne » et proclame que «tous les hommes, quelles que soient leur race ou leur religion ont droit au respect des individus et des Etats ». Avant de conclure : « Que Dieu console et fortifie ceux qui sont iniquement persécutés ! Qu’il accorde au monde la paix véritable et durable, fondée sur la justice et la charité. »

En bas du document figure la mention : « A lire sans commentaire à toutes les messes dans toutes les églises et chapelles du diocèse, le dimanche 30 août 1942. » Quelques mois plus tard, le 21 novembre 1942, le même évêque – il fut fait juste parmi les nations- adressera une lettre circulaire encore plus explicite, enjoignant à tous les établissements religieux du diocèse d’accueillir les juifs expulsés des départements limitrophes.

L’étau se resserre.

Mais, les mesures anti-juives et la chasse aux Juifs se succèdent et suites aux rafles de juillet-août 1942, une quarantaine d’enfants quittent en hâte Moissac et Beaulieu pour passer clandestinement en Suisse. En 1943, les rafles se multiplient. Les jeunes du 18, quai du Port, et de ses annexes échappent à plusieurs d’entre elles – sûrement grâce à des fuites administratives bienveillantes.

Au quai du Port, on installe un atelier pour fabriquer de faux papiers : cartes d’identité, cartes d’alimentation, passeports, certificats de baptême… Le 5 janvier 1943, le Commissariat aux questions juives ordonne la dissolution effective des eif ; mais leurs activités sociales, éducatives et agricoles n’en continuent pas moins jusqu’en octobre. Quant aux unités scoutes, elles trouvent une aide appropriée de camouflage auprès des Éclaireurs Unionistes et des Éclaireurs de France. Mais pour les maisons les risques augmentent. Il serait désormais suicidaire de ne pas disperser les enfants.

En octobre, après une descente (sans résultat) de la police militaire allemande, décision est prise de fermer les maisons de Moissac et de Beaulieu et fin novembre la Maison de Moissac est dissoute.

Le „planquinq“

Que faire des enfants et des jeunes si on ferme les maisons ? Où les planquer ?

Commence ce que les cadres des EI – constitués en un réseau de résistance baptisé « la Sixième » – appellent le « planquing » : il faut cacher les enfants. Chez les Moissagais ou dans des familles alentour. Dans les monastères, ou dans les écoles religieuses des environs, comme le collège Sainte-Foye-la-Grande, à Castres. Pour ceux qui parlent encore mal le français – ou avec un accent qui peut les mettre en danger -, des filières sont organisées vers la Suisse ou vers la Palestine via l’Espagne. Les adultes qui accompagnent les petits fugitifs prennent tous les risques. Certains le paient de leur vie, comme Marianne Cohn, cheftaine d’origine juive allemande, pionnière de Moissac, faite prisonnière à Annemasse alors qu’elle encadre un groupe de 28 enfants pour passer en Suisse. Elle meurt en héroïne, refusant de s’évader, de peur que les Allemands ne se vengent sur les enfants. Elle fut exécutée. Eux survivront.

Du 23 octobre 1943 jusqu’à la libération, de jeunes chefs et cheftaines assurent le suivi des enfants ainsi placés ; ce réseau fonctionne selon un système de petits groupes très cloisonnés, mais de telle façon que nul ne doive « se sentir abandonné ». Les chantiers ruraux ne seront définitivement dissous qu’en mars 1944.

La libération  

Tous les jeunes du 18 survivront. Fin 1943, juste avant que la maison ne fût dissoute, au moment de disperser les locataires, Shatta et Bouli avaient réuni ceux qui étaient encore là. « Rendez-vous ici, pour le premier shabbat d’après la Libération », leur avaient-ils intimé sans trembler. « Et nous y étions, souffle Jean-Claude Simon. Nous y étions tous. » Rappelons ici l’appel du sénateur-maire de 1939: „ la ville doit faire son devoir“

 À la Libération, la Maison s’installe au « Moulin », presque en face du 18, quai du Port mais bâtiment plus grand afin de recevoir de jeunes juifs rescapés des camps d’extermination, En 1951, tout le monde quitte le « Moulin de Moissac » pour le château de Laversine (Oise) où les Simon continuent d’accueillir des enfants en difficulté. 

Le miracle de Moissac

On a du mal à expliquer comment, dans une période où les dénonciations ont coûté la vie à des milliers de Juifs, 500 jeunes et enfants ont pu être sauvés dans une ville de plus de 8000 habitants ? Comment expliquer que maintes fois les locataires de la Maison ont été avertis des rafles nazies et purent se soustraire aux poursuites dans la campagne des environs ? Qu’est-ce qui a permis aux eif de tenir, de survivre dans des circonstances aussi problématiques ? Les qualités personnelles des principaux responsables sans doute ; notamment leurs capacités d’anticipation des événements et d’animation d’une communauté à travers les pratiques scoutes. Au-delà des trajectoires individuelles (enfants et adultes), ils ont compris toute l’importance de l’effet de groupe (objectif partagé, cohésion collective, sens de l’appartenance), bref la force mobilisant d’un être ensemble cimenté par un profond sentiment d’identité juive; d’où un travail informatif et réflexif, jamais interrompu, sur une histoire, une culture, un système de valeurs. Outre dons et subventions de divers organismes, on ne saurait oublier les rapports de bon voisinage établis avec des habitants de Moissac, ni surtout l’aide, déjà mentionnée, efficace et soutenue de la part de certaines personnalités locales : préfet, maire, secrétaire de mairie, gendarmes, commissaire de police, etc.

Et après….

L’Histoire a retenu les sauvetages collectifs du Chambon-sur-Lignon, de Dieulefit (Drôme), du Danemark (où la quasi-totalité des juifs du royaume furent exfiltrés en une nuit sur des bateaux pour la Suède), mais semblait avoir oublié le cas de ce bourg de Tarn-et-Garonne. Plusieurs Moissagais ont été décorés justes parmi les nations*, à titre individuel, mais la ville qui – signe étymologique incroyable ! – tire son nom de Moïse, l’enfant sauvé des eaux par la fille de Pharaon, n’a pas été honorée de la médaille „collective“ des justes parmi les nations par le mémorial Yad Vashem à Jerusalem. Le miracle, pourtant, y eut bien lieu.

Nonobstant, il s’est formé une solide amicale des enfants de Moissac qui soixante-dix ans plus tard, se retrouve lors de colloques, des grandes occasions, joyeuses ou tristes.

Relevons les paroles du cinéaste Nicolas Ribowski, né en 1939, un des plus jeunes enfants juifs de Moissac qui n’a plus jamais revu ses parents après la séparation brutale de la famille en fuite vers la zone non occupée : « Nous étions privés de nos parents et exposés au danger. Moissac nous a permis de survivre à cette peine. Grâce à l’attitude exemplaire de Shatta et Bouli, de nombreuses activités éducatives, physiques et spirituelles nous étaient proposées. Basées sur la vie de groupe et les principes du scoutisme, elles nous réparaient, nous construisaient. Elles nous ont permis de nous constituer une réserve de courage. »

 « C’était l’apprentissage de la résilience. »

  • C’est ainsi que l’on désigne les personnes non juives ayant sauvé des juifs durant la Seconde Guerre mondiale

Ils ont été faits justes parmi les nations

  1. Sous-secrétaire de mairie, Alice Pelous aide Manuel Darrac à fournir les cachets officiels pour les faux papiers des enfants. Une fois la maison dispersée, fin 1943, elle prête son identité à Shatta Simon. Faite juste le 24 juin 1990. 
  2. Secrétaire de mairie à Moissac, Manuel Darrac contribue à doter chaque enfant de faux papiers sur lesquels il appose d’authentiques cachets.

Il fournit aussi des cartes d’alimentation ainsi que des cartes de séjour pour les éducateurs. En 1944, il transmet aux Simon des adresses où cacher les enfants. Fait juste le 24 juin 1990.

  1. Employée de mairie, Henriette Ducom participe elle aussi à la fabrication de faux papiers. Après l’arrivée des Allemands, elle se charge également de trouver des cachettes pour les enfants dans la ville et aux alentours. Faite juste le 16 mai 1989.  Alice Pelous (à droite), © Mémorial de Yad Vashem
  2. Le marchand de charbon Jean Gainard approvisionne la maison des enfants de 1939 à 1943. Ensuite, il donne tous ses papiers (jusqu’à son certificat de baptême !) à Henri Wahl, l’un des éclaireurs israélites passés à la Résistance, pour qu’il puisse circuler en sécurité. Fait juste le 1er mai 1989.
  3. Avec sa femme Ernestine, Albini Ginisty a caché chez eux une grande partie du matériel de faussaire destiné aux identités d’emprunt. Le couple a aussi caché Jean-Claude Simon. Faits justes le 15 octobre 2013.
  4. Alida et Pierre Bourel ainsi que Renée et Henri Bourel ont caché toute la famille Simon. Faits justes le 1er avril 2014. Alida et Pierre Bourel, à gauche, Mémorial de Yad Vashem
  5. Evêque de Montauban, Pierre-Marie Théas n’est pas moissagais. Mais sa lettre enjoignant à ses paroissiens de faire acte d’hospitalité, de charité et d’humanité vis-à-vis des juifs a joué un grand rôle. Fait juste le 8 juillet 1969.

Source : Mémorial de Yad Vashem.

 

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Sources :

 Les Enfants de Moissac, 1939-1945, de Catherine Lewertowski,

 Champs-Histoire, 286 p., 8 €.

 Moissac 1939-1945, résistants, justes et juifs, de François Boulet, Ampelos, 166 p.15 €.

À voir: „J’avais oublié“, documentaire (2005) de Nicolas Ribowski sur la maison de Moissac

A consulter : www.des-villes-et-des-justes.com

A écouter :  www.100komma7.lu  médiathèque / 6 mars 2019 à 10.10 hrs  :“ les enfants de Moissac“ am Neimënster

En cas d’intérêt pour l’exposition veuillez contacter info@memoshoah.lu

 

Fiche technique de l’expostion